Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--
  • 0
  • 0

AMITIÉ UNION EUROPÉENNE-HAITI - Un néocolonialisme de routine ?

Écrit par Lepetitjournal Haiti
Publié le 12 juillet 2016, mis à jour le 13 juillet 2016

 

 

 

L'Union européenne a annoncé qu'elle mettait fin à sa Mission d'observation électorale en Haïti. Cette décision inédite marque son désaccord avec l'annulation des résultats du premier tour du scrutin, et consacre l'antagonisme entre l'ensemble des acteurs haïtiens, d'une part, et les institutions internationales, d'autre part.

Ce mercredi 8 juin, suite à la publication du rapport de la Commission indépendante de vérification et d'évaluation électorale (CIEVE), l'Union européenne (UE) a annoncé mettre un terme à sa Mission d'observation électorale en Haïti. Au vu des irrégularités et des fraudes ayant entaché les élections, la Commission haïtienne a en effet appelé à l'annulation du premier tour présidentiel et à la reprise du processus électoral ; décisions qui vont à l'encontre des conclusions de l'UE. Le retrait de celle-ci consacre les décalages et contradictions qui se sont manifestés, dès le début du scrutin, entre l'ensemble des acteurs haïtiens, d'une part, et les observateurs des institutions internationales, d'autre part.

Retour sur le processus électoral

Lors des élections législatives du 9 août 2015, la responsable de la mission d'observation électorale de l'UE, Elena Valenciano, avait jugé que les élections législatives du 9 août 2015, malgré les difficultés et les incidents « parfois violents », constituait « un pas essentiel vers une démocratie plus solide ». Cet optimisme de l'UE tranchait déjà avec les critiques acerbes des organisations haïtiennes, évoquant un « fiasco électoral ».

 

La responsable de la mission d'observation électorale de l'UE, Elena Valenciano

 

Le scrutin du 25 octobre, qui s'était, de l'avis de tous ? observateurs haïtiens et internationaux ?, mieux passé, aurait pu rapprocher les points de vue. L'UE s'était montrée encore plus positive, saluant « une étape décisive pour le renouvellement politique, la stabilité des institutions et la consolidation de la démocratie en Haïti ». Mais, très vite, les indices d'une fraude massive s'imposèrent. Les résultats officiels, plaçant le dauphin de Michel Martelly (alors, encore président), Jovenel Moïse, en tête devant Jude Célestin, allaient être très largement rejetés, y compris par Célestin. Celui-ci refusa de se présenter au second tour ; second tour qui apparaissait aux yeux du plus grand nombre comme une farce électorale.

Sous la pression de la rue, le second tour des présidentielles fut reporté, puis suspendu. Une Commission d'évaluation électorale indépendante (CEEI), pourtant nommée par le gouvernement, conclut que « les élections du 25 octobre étaient entachées d'irrégularités » et émit une série de recommandations... qui ne furent pas suivies. Finalement, un gouvernement provisoire, avec un nouveau calendrier électoral, fut mis en place in extremis. Dès lors, s'opposèrent, d'un côté, le clan Martelly et les institutions internationales, qui voulaient poursuivre au plus vite le processus électoral tel quel, et de l'autre, la majorité de la population haïtienne, qui exigeait que ces élections fassent l'objet d'une vérification indépendante.

L'attitude de l'UE

Jusqu'au bout, l'UE aura soutenu la validité et la légitimité des élections, de ses résultats et du Conseil électoral provisoire (CEP), en charge de son organisation]. Si elle reconnaissait des failles et des irrégularités, celles-ci n'étaient pas de nature à remettre en cause le processus électoral. Difficile dès lors de ne pas voir dans sa décision de clôturer sa mission d'observation, une sanction. Comment expliquer un tel décalage ? Au-delà des possibles divergences méthodologiques et techniques, ce qui est en jeu, c'est le regard clivé de l'UE.

L'observation de l'UE s'est cantonnée à un niveau toujours plus formel, coupé d'un contexte pourtant surdéterminant dont la responsabilité incombe avant tout à Martelly : des élections retardées de 4 ans ; une réforme pour réduire à vingt le nombre de membres nécessaires pour former un parti politique ; un faible taux de participation (autour de 20 %) ; un CEP dépendant... Avec son regard fixé sur la gouvernance et sur les procédures, vidées de tout contenu, l'UE aurait été prête à valider un second tour présidentiel avec un seul candidat et 10 % de participation !

La neutralité même de l'UE est problématique dans la mesure où elle a largement contribué au financement de ces élections et a soutenu Martelly durant tout son mandat. Reconnaître le fiasco des élections ne revenait-il pas à admettre son propre échec ? En raison et à la mesure de l'appui apporté au gouvernement pour poursuivre le scrutin, elle se décrédibilisait. Si la classe politique haïtienne manque certes de crédibilité, ce n'est pas pour autant que l'UE apparaît (plus) légitime. Et, de toute façon, les Haïtiens et Haïtiennes ne demandent pas d'échanger leur problème avec la classe politique contre la « solution » que représenterait l'UE.

L'UE a ainsi reproduit le regard colonial du Nord sur le Sud avec, d'un côté, les garants de la démocratie et des droits humains, et de l'autre, les incapables et les corrompus, qu'il faut élever ? fut-ce en les bousculant ? à la hauteur des règles démocratiques. Jamais l'UE n'a remis en question ce regard et son jugement, quand bien même ils étaient contredits par le travail des organisations haïtiennes ; travail qu'elle n'a eu de cesse de rabaisser. C'est d'autant plus prétentieux que l'UE n'offre guère de transparence sur le coût de sa mission ni sur les échanges qu'elle est censée avoir eus avec les partis politiques et organisations sociales haïtiennes, et qu'elle ne prévoit aucune évaluation de sa propre mission d'observation.

Le rapport de la Mission d'observation électorale de l'UE (MOE-UE) en Haïti met ainsi en cause la capacité, la crédibilité et la légitimité de la CIEVE, tout en se faisant le garant du respect de la Constitution haïtienne. Le respect et la correcte interprétation de celle-ci seraient paradoxalement mieux assurés par l'UE que par les organisations et institutions haïtiennes, reconfigurant dès lors les contours de la souveraineté nationale, et plus encore, de la souveraineté populaire.

 

Les membres de la CIEVE connus pour leur honorabilité et leur sens du sérieux

 

Une opportunité pour Haiti

Le regard de L'UE porte la marque de la politique néolibérale qu'elle a adoptée. Si les irrégularités et les fraudes ont été systématiquement sous-estimées, c'est aussi que la voix du peuple ne pèse guère face à la nécessité d'une stabilité macro-économique, à même de garantir une stratégie de développement qui, elle, n'a pas à être remise en question et qui est censée constituer la réponse à tous les problèmes du pays.

Le bras technique de la CIEVE a vertement répondu au rapport de la MOE-UE. Le contestant point par point, elle y voit un « hymne à l'ingérence rempli d'arrogance, d'insulte et de mépris vis-à-vis des droits du peuple haïtien », et dénonce une Mission qui se comporte comme un « acteur politique ». Il convient de rappeler que, dans un contexte difficile, la CIEVE a réussi à réaliser, dans le temps qui lui était imparti, un travail indépendant, fouillé, argumenté et sérieux.

Mais au bout du compte, la fin de la MOE-UE est une belle opportunité. Elle peut permettre aux Haïtiens de se réapproprier la machine politique, de renforcer leurs institutions et de réinventer un espace public de débats et d'échanges. Bref, de faire ce que la « communauté » internationale prétendait réaliser, et qu'elle n'a pas fait ni ne peut faire, car en réalité, seuls les Haïtiens et Haïtiennes détiennent la clé des problèmes de Haïti.

Frédéric Thomas

 

13  juillet 2016

  

www.alterpresse.org

 

lepetitjournal.com/haiti

 

voir  aussi http://www.lepetitjournal.com/haiti/societe/249836-l-union-europeenne-prendrait-elle-le-risque-de-destabiliser-un-pays-fragile

lepetitjournal.com haiti
Publié le 12 juillet 2016, mis à jour le 13 juillet 2016

Flash infos