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PAROLE D’EXPAT – Jean-Marc Israël, BCE : "l’UE a mieux à faire que négocier le Brexit"

Écrit par Lepetitjournal Francfort
Publié le 25 septembre 2016, mis à jour le 25 septembre 2016

A la tête de la Monetary & Financial Statistics Division, Jean-Marc Israël travaille depuis 18 ans à la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort. Dans une interview accordée à lepetitjournal.com/francfort, il nous livre à la fois son parcours et sa vision, depuis la BCE, de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.

Lepetitjournal.com/francfort : comment êtes-vous arrivé à travailler à la Banque centrale européenne ?

Jean-Marc Israël : quand la Banque centrale a été créée, j'y ai vu une opportunité intéressante et historique. A l'époque, le chef de la section Balance des paiements de l'Institut monétaire européen, prédécesseur de la BCE, avait démissionné et j'ai décidé de poser ma candidature. Dans ma tête, je partais pour 4 à 5 ans. Et finalement, cela fait 18 ans et je suis resté. La BCE est vraiment une institution extraordinaire. De plus, Francfort est une ville agréable à vivre et où travailler. Ma famille, elle, est en grande partie restée à Paris (mais une de mes filles habite en Bavière). Au début, ce n'était pas si évident. Je faisais beaucoup de covoiturage. Mais aujourd'hui, grâce aux cinq liaisons ferroviaires quotidiennes Francfort-Paris, c'est beaucoup plus simple de faire des allers-retours. En plus, ceci permet de travailler dans le train, d'arriver plus détendu en week-end et de pouvoir mieux se préparer pour retourner au travail. 

Qu'est-ce qu'il y a de différent quand on travaille à la BCE plutôt que dans une autre banque centrale ?

Travailler à la BCE offre beaucoup d'avantages. Ce qui est bien quand on est aux statistiques, c'est que nous avons énormément d'interlocuteurs. Nous avons des contacts dans beaucoup de branches de la BCE et des banques centrales nationales, ainsi que dans de nombreuses autres organisations, en particulier dans le secteur financier. De plus, notre travail offre des possibilités extrêmement variées au plan professionnel et un certain confort. J'ai eu, il y a 25 ans, une offre pour aller travailler ailleurs alors que je commençais dans la statistique ? après avoir été chef de projet informatique et manager au sein du département de la Fabrication des billets. C'était dans un domaine très particulier et avec un revenu inférieur ; accepter aurait été une chute vertigineuse pour ma carrière. Aujourd'hui, après 35 ans passés à la Banque de France et à la BCE, je me vois mal faire mes dernières années ailleurs.

Quelle a été une de vos premières initiatives en arrivant ?

J'ai mené beaucoup de projets depuis que je suis ici. Un des premiers que j'ai mené date de l'époque où je travaillais encore à la balance des paiements. C'était toujours difficile, avant, d'additionner les balances de chaque pays pour connaître celle de l'Union européenne car elles ne coïncident pas suffisamment. Il y avait toujours des "résidus", des chiffres dont on ne savait pas quoi faire et qui donnaient des résultats difficiles à analyser, en particulier pour les "investissements de portefeuille". Nous avons donc mis au point un système en demandant aux pays membres de séparer leurs transactions avec des pays intra-UE et des pays tiers. Ce n'était pas évident à mettre en place car chaque pays présentait des balances faites différemment. Ce n'est qu'en 2005 que nous avons réussi ce projet, soit en six ans environ. Il a été tellement bien conçu qu'il a ensuite fourni des résultats utiles dans de nombreux autres domaines de la BCE. 

Que pense-t-on du Brexit quand on travaille dans l'un des organes les plus importants de l'Union européenne ?

Pour beaucoup, ça a été une surprise. Je l'avais un peu vu venir. De manière objective, il faut reconnaître qu'il y a eu une meilleure campagne (positive, offensive) en faveur du Brexit que du Bremain (négative, trop défensive), même si elle était en partie fallacieuse comme l'ont reconnu les partisans du Brexit eux-mêmes. Ce qui m'a étonné en revanche, c'était de voir que ce sont les personnes âgées qui ont le plus voté pour le Brexit. Je pensais qu'il s'agissait de générations qui se seraient souvenu de la guerre et comment l'Union européenne a tout de même apporté la paix. 

Maintenant que le Brexit a été voté, l'Angleterre est face à plusieurs problèmes. D'une part démographique, avec une ancienne génération qui décide pour la nouvelle en allant à l'encontre de ses attentes. Puis géographique, avec une Ecosse et une Irlande du Nord qui pourraient envisager de se séparer de l'Angleterre. Cette situation, et surtout l'effet de contagion qui pourrait s'ensuivre ailleurs en Europe, seront difficiles à vivre pour eux, mais aussi pour nous, sur les 15 à 20 prochaines années. L'UE connaissait un début de reprise, mais elle pourrait à nouveau ralentir, voire chuter. Il va y avoir moins d'investissements, jusqu'à ce que les négociations soient bien avancées. En cette période, l'Union européenne avait sans doute d'autres priorités et choses à faire que négocier le Brexit.

Quel sera le climat à venir au sein de l'Union ?

À mon avis, ce ne sera pas le chaos. A vrai dire, le Royaume-Uni va même connaître une petite embellie pendant les prochains mois, ce qui donnera, en apparence, raison aux souverainistes. Mais c'est ensuite que cela peut devenir beaucoup plus compliqué. De plus, sur le plan européen, il va y avoir du changement, comme la Pologne, qui était en position attentiste, est quelque peu prise au dépourvu et se retrouve avec un gouvernement qui ne cache pas son euroscepticisme. 

Les tensions risquent d'être fortes, dans un climat d'incertitude. Bien sûr, on va trouver un accord avec le Royaume-Uni, mais ça va être long avant que tous les membres votent unanimement. L'Europe avait autre chose et peut-être mieux à faire face aux nombreux défis de la multi-polarisation ou de la gestion soutenable des ressources limitées de notre planète (voir la conclusion de la récente conférence de Paris). Que sera l'Europe, même unie, dans le monde de demain ? Alors quel poids auront les nations européennes si elles se présentent dispersées ? Se désagréger, c'est jouer à l'apprenti sorcier. Les Anglais ont ouvert une boîte de Pandore. On va perdre du PIB dans les 4 à 6 prochaines années, comme annoncé par la campagne Bremain ? mais sur le moyen terme, pas immédiatement. Nous risquons surtout de compter de moins en moins dans la résolution des grandes questions sur notre avenir.

Quelles solutions peuvent se présenter au Royaume-Uni ?

Ils peuvent perdre une partie de leur activité liée au marché de l'euro et de la finance, oui. Ils vont essayer d'investir dans d'autres marchés monétaires, comme ceux d'Asie. Une chance pour eux, où ils pourraient utiliser leur savoir-faire, serait de se renforcer dans les marchés des changes. Ce qui est sûr, c'est qu'une fusion entre London Stock Exchange et Deutsche Börse pourrait les aider aussi dans les marchés obligataires, en leur permettant de garder un pied dans la zone Euro. 

Mais j'espère surtout qu'une réflexion se dégagera de ce référendum. L'Union européenne ne défend pas assez ses réalisations et les bienfaits dont bénéficient nos concitoyens (monnaie commune, bas prix des communications, bas taux d'intérêt, passage des frontières, équivalence des diplômes, etc.), alors que les eurosceptiques sont actifs et communiquent plus et peut-être mieux. 

Félix Mazet (www.lepetitjournal.com/francfort), lundi 26 septembre 2016

Les vues et opinions exprimées dans cet article, notamment sur le Brexit, reflètent exclusivement celles de l'interviewé et pas nécessairement celles de l'institution dans laquelle il travaille.

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Publié le 25 septembre 2016, mis à jour le 25 septembre 2016

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