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CARRIERE - Gérer les différences culturelles en entreprise

Écrit par Lepetitjournal.com International
Publié le 1 janvier 2014, mis à jour le 20 décembre 2013

Les différences culturelles au sein d'une entreprise peuvent être source de tensions et  constituer une entrave majeure au fonctionnement du groupe, voire une cause d'échec. Mais elles peuvent aussi être facteurs d'épanouissement des individus et de performances des entreprises. Le résultat dépend de la manière dont on gère les différences culturelles. Evalde Mutabazi, professeur permanent à l'EM Lyon et coach, spécialiste du management interculturel, nous fait part de son expertise

photo DR

Lepetitjournal.com : Choc des cultures, barrière de la langue, travailler dans un pays étranger n'est pas toujours simple. Doit-on s'y préparer avant de partir ?

Evalde Mutabazi : Evidemment, toute préparation est bénéfique pour pouvoir s'intégrer dans un contexte différent, lors d'un départ à l'étranger mais aussi au retour dans son entreprise et son pays d'origine. La préparation est importante notamment sur trois plans : la langue de travail, le contexte culturel, mais au niveau de l'entreprise voire de l'équipe d'accueil. Apprendre la langue utile pour travailler dans le pays où l'on s'expatrie est intéressant, car la langue est la première porte d'entrée dans une culture nationale ou professionnelle. Que l'on soit appelé à devenir dirigeant ou non, parler la langue permet de percevoir des nuances, d'éviter de fâcheux malentendus, de se faire accepter, de gagner la confiance et  d'acquérir la crédibilité. Avec la langue, on s'ouvre à un univers culturel différent, même si parfois on ne s'en rend compte qu'a posteriori, suite à une immersion plus ou moins longue dans ce nouvel univers de sens, de codes et de pratiques, qui peuvent nous paraître bizarres ou fascinants pendant les premiers jours.

Ensuite, il est important de s'informer de façon plus large sur le pays ou l'entreprise où l'on va  travailler, car beaucoup de comportements, d'attitudes ou de valeurs y sont différents de ceux que l'on connait dans notre propre pays ou entreprise d'origine. C'est notamment souvent le cas de la relation au temps : l'exactitude, les délais d'exécution, la durée de réalisation des projets, le temps d'attente, la gestion des horaires, le mode de conduite d'une réunion, le choix du bon moment...autant de situations où apparaissent souvent très nettement les différences culturelles. Sans pour autant tomber dans le piège de recettes souvent stéréotypées, l'idéal est de préalablement se doter du minimum nécessaire de clés de décodage de la culture à laquelle on va être confronté. Sans cette démarche, on va au devant de problèmes d'échange et de communication, qui peuvent générer des tensions voire de très graves difficultés relationnelles et de travail.

Par ailleurs, l'intégration ne se fait pas toute seule et l'expatrié n'en est pas le seul acteur. Il est également très important que l'équipe qui l'accueille soit préparée à son arrivée. Le personnel local va porter un certain regard sur lui, en avoir des perceptions qui peuvent être réductrices ou sur-valorisantes. C'est aux managers sur place de créer un cadre favorable à l'intégration de l'expatrié, de mettre en place les conditions nécessaires pour que ses collègues facilitent l'adaptation du nouvel arrivant, en le renseignant sur le fonctionnement local, mais aussi sur les freins ou obstacles qu'il pourra rencontrer. C'est cet ensemble- et non le seul expatrié, aussi techniquement expert soit-il dans son domaine- qui permettra une bonne intégration et une efficacité maximale.


La culture d'entreprise peut-elle changer en fonction des pays ?
Oui, bien sûr. Elle doit même le faire de façon volontaire et intelligente pour réussir durablement dans des  systèmes juridiques, des cultures politiques ou managériales différentes d'un pays à un autre, pour une entreprise mondialisée. Il y a des spécificités locales, par exemple dans la gestion des rapports avec les banques, les fournisseurs ou les réseaux de distribution, et l'on a d'autres choix que celui de doit s'y adapter. Sur un plan marketing, il faut donner à l'entreprise, à ses produits ou services la couleur du pays. C'est ainsi que même dans les produits de luxe et pour des groupes comme L'Oréal, cette adaptation est leur principal levier de succès. Coca-Cola, une des marques les plus connues sur la planète, a modifié non seulement le goût de ses boissons, mais aussi la couleur du packaging et les messages publicitaires en fonction des cultures pays. Excepté les aspects techniques de la gestion financière qui peuvent relativement être mondialisés, tout le reste, y compris le contrôle de gestion, l'organisation des usines, la répartition des activités et le partage des responsabilités, doit être adapté, si l'entreprise souhaite pleinement et durablement réussir en contextes multiculturels. Mais attention toutefois, une culture d'entreprise et son succès durable se fondent sur son identité souvent construite à partir de son métier et des valeurs clés mises en avant par ses dirigeants, dans certains cas sur celles de ses actionnaires, ainsi que le montre le succès actuel de Lewis aux Etats-Unis.


La diversité dans les équipes comporte-t-elle un risque ou est-ce un atout ?
Il y a bien sûr un risque d'indifférence, d'incompréhension mutuelle, d'absence de synergies et de coopération, qui vont bien au-delà de l'incompréhension linguistique, souvent liée au recours à une langue tierce, telle que l'anglais à l'heure actuelle. Il n'y a parfois qu'une juxtaposition de personnes côte-à-côte dans les équipes multiculturelles. Il ne faut pas sous-estimer non plus les problèmes de rivalité professionnelle et les jeux de pouvoir qui sont des phénomènes humains universels. Ces comportements sont contre-productifs et mènent à l'échec si l'on ignore ce qui est valorisé, légitime ou noble dans les cultures en présence, au sein d'un CODIR par exemple.
L'efficacité des équipes interculturelles n'est pas automatique. Le management interculturel suppose un véritable investissement de l'entreprise dans le développement d'une dynamique favorable à l'apprentissage et l'enrichissement mutuels de ses membres multiculturels. Cela passe par la volonté des dirigeants  à leur donner les moyens pour se "co-naître" autour d'un projet concret et exigeant, se comprendre dans leurs logiques d'action et développer des relations de reconnaissance mutuelle. La confiance réciproque, la coopération et l'innovation vont de pair en contextes multiculturels. On accroît la performance de telles équipes si l'on facilite la communication, la confrontation des idées et l'échange d'expériences, mais aussi la réalisation conjointe de projets originaux parfois non prévus au programme. Cet espace interculturel crée alors des synergies et des complémentarités opérationnelles durables. Il est porteur d'innovations et de progrès pour les personnes, les équipes et l'entreprise multiculturelles.

Dans ce contexte, qu'est-ce qu'un bon manager ? 
En termes de management, une même attitude, un même comportement (un clin d'?il ou un sourire par exemple) sont perçus et décodés différemment aux Etats-Unis, en Afrique du Sud, au Japon ou en France. Un bon manager, un bon collaborateur, un client même, n'a pas le même comportement selon les pays. Pour qu'une équipe multiculturelle soit performante, elle doit nécessairement avoir confiance dans son leader et l'accepter dans sa légitimité. L'acceptation du chef de projet et les critères de sa légitimité répondent sans conteste à des références culturelles spécifiques. Ainsi par exemple - et au risque de généraliser-, pour être reconnu par son équipe allemande, le chef de projet doit disposer de réelles compétences techniques, d'un diplôme et d'un statut de pouvoir face aux Français, de fortes capacités de communication et de gestion du consensus face aux Néerlandais ; il doit témoigner de sa compétence en matière de coordination et d'animation, face à une équipe de Belges, et faire preuve d'écoute et de conciliation.

Dans les cultures "plutôt démocratiques", le chef de projet, qui remplit d'avantage un rôle de coordinateur et de facilitateur des échanges, laisse plus facilement l'équipe prendre les décisions et chacun de ses membres exprimer ses idées. Dans les cultures hiérarchiques par contre, le chef de projet (ou sa hiérarchie) est le décideur ;  les membres de l'équipe attendent de leur chef qu'il prenne des décisions, et ils peuvent accepter qu'elles soient arbitraires ou qu'elles ne tiennent pas compte des enjeux individuels. Dans certains cas cependant, le fonctionnement peut être plus complexe et la décision du chef remise en cause. Ainsi, en France, pays qui voue souvent un culte sacro-saint à la raison, une décision peut être remise en cause et remplacée par une autre qui semble moins rationnelle et mieux adaptée au contexte ou aux objectifs poursuivis. Cette approche, souvent mal comprise par les anglo-saxons, peut être très frustrante pour les personnes qui accordent une haute importance au contrat, aux procédures formelle et à la parole donnée.

En contexte multiculturel de travail, l'intégration de l'expatrié passe par sa capacité à combiner les bonnes pratiques locales avec celles de son pays où du siège de son entreprise. Les partenaires locaux attendent qu'il soit culturellement différent et identique, distant et proche à la fois. Ce paradoxe des comportements attendus de l'expatrié s'exprime dans le fameux ?Agir local, penser global?, que les entreprises ne savent pas souvent traduire en terme de management, et de conduite de changements dans leurs filiales internationales. Un management intelligent, c'est la combinaison des savoir-faire et savoir-être d'ici (dans la filiale) et d'ailleurs (du siège ou des filiales des autres pays).

Quelle principale leçon doit-on retenir en conclusion ?
Outre la préparation et l'apprentissage du décodage des différences entre cultures et pratiques managériales, l'accompagnement et le conseil quelquefois nécessaires, un bon expatrié s'intègre avec succès s'il sait davantage s'appuyer sur l'ouverture et l'échange d'expériences, l'humilité et la bonne gestion in situ des relations de travail, qu'elles soient managériales ou commerciales. Son entreprise doit l'aider à acquérir les compétences nécessaires pour comprendre le cadre dans lequel il évolue, pour établir des règles du jeu localement acceptables ? et le cas échéant l'accompagnement nécessaire pour l'élaboration de chartes spécifiques, notamment au sein des équipes très pointues, et le management de celles-ci en associant leurs membres - tous experts dans les domaines complémentaires indispensables pour la réalisation du projet -, à la production des règles de conduite nécessaires à l'efficacité collective. Leur manager pourra alors de façon très légitime et crédible encourager de bons comportements mais aussi sanctionner les mauvais, sans faire naître les résistances culturelles, le freinage ou la rébellion qui engendrent souvent des coûts cachés exorbitants pour l'entreprise, et un retour plutôt difficile pour l'expatrié.

La grande leçon à retenir, c'est que toute démarche interculturelle pour l'intégration et le succès des expatriés repose sur la reconnaissance de l'autre. Concrètement, il s'agit de savoir mettre en valeur expériences et les savoir-faire spécifiques ; de faire en sorte que chaque membre de l'équipe multiculturelle -dirigeante ou opérationnelle- se sente véritablement reconnu quel que soit son âge ou son genre, son expertise  métier, sa couleur de peau ou son origine.

Propos recueillis par Marie-Pierre Parlange (www.lepetitjournal.com) jeudi 2 janvier 2014  (réédition)

Evalde Mutabazi (www.mutabazi.com) est docteur en sociologie de l'entreprise multiculturelle, professeur permanent à l'EM Lyon depuis plus de 20 ans. Spécialiste en gestion de la diversité, en management de changements liés aux rapprochements d'entreprises, il est aussi consultant-formateur  et coach de dirigeants et cadres. Il est l'auteur de plusieurs articles et ouvrages dont :
MUTABAZI Evalde : Les discriminations. Editions Le Cavalier Bleu, collection Idées reçues Juillet 2010 (avec Philippe Pierre)
MUTABAZI E. : Pour un management interculturel. De la diversité à la reconnaissance. L'Harmattan, 2008 (avec Philippe Pierre)
MUTABAZI  Evalde : Cultures et gestion en Afrique Noire. Chap. VI. In DAVEL E. & al. , Gestion en contextes multiculturels, PUL 2008
MUTABAZI Evalde & Al : Management des ressources Humaines à l'international. Fusions, acquisitions, alliances, filiales et coopérations internationales. Eyrolles, 1994

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Publié le 1 janvier 2014, mis à jour le 20 décembre 2013

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