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Erasmus : « Le miroir aux alouettes d’une prétendue Europe sociale »

Marie Lahetjuzan Erasmus Bonus MalusMarie Lahetjuzan Erasmus Bonus Malus
Jerome Lemasson
Écrit par Adrien Filoche
Publié le 25 février 2018, mis à jour le 14 novembre 2018

Retard et écart dans le versement des bourses, plafonnement des notes et manque d’accompagnement, Erasmus, ce n’est pas toujours l’Eldorado des rencontres interculturelles et des soirées étudiantes. Dans son livre Erasmus Bonus Malus, Marie Lahetjuzan lève le voile sur les travers du programme européen.

Lorsqu’elle s’envole pour Madrid en 2009 dans le cadre d’un échange universitaire, Marie Lahetjuzan, en double licence sociologie et médias à l’Université de Kingston (Londres), se dit que l’expérience sera formidable. Mais dès son arrivée, les problèmes commencent vite à s’accumuler, rendant le séjour bien moins agréable que prévu. Elle a tiré de cette expérience un livre, Erasmus Bonus Malus, qui révèle les galères que vivent certains étudiants qui suivent ce programme. 

Lepetitjournal.com : Quand avez-vous débuté votre enquête ?

Marie Lahejuzan : J’ai commencé en amont, c’est-à-dire avant de partir à Madrid. En fait, écrire était pour moi une façon de clarifier les choses. Quand j’ai entendu parler d’Erasmus, j’étais en première année universitaire à Kingston (Angleterre). Déjà, à la première réunion d’information, on nous vendait Erasmus avec tellement de couleurs, de fleurs et de poésie que ça me semblait un peu louche. Erasmus était présenté comme le fondement de l’Europe sociale : on allait tous recevoir une bourse, être égaux, … On se disait tous que ça allait être merveilleux et je voulais aussi y croire. Dans mon parcours de Française à Londres, j’avais été livrée à moi-même. Avec Erasmus, je me disais que j’allais être encadrée par l’Europe. Au final, dès l’inscription dans notre université d’accueil, j’ai rapidement compris que j’allais devoir un peu tout faire toute seule, et ce n’était pas comme cela que je l’imaginais. 

 

Erasmus Bonus Malus
Quels ont été les points de discorde au cours de votre Erasmus ? 

Les bourses. On nous a promis le versement de notre bourse à la rentrée, pour payer notre billet d’avion, nos livres, nos études… Je suis arrivée en septembre et les bourses ont été versées deux mois en retard. Non seulement, tu te retrouves seul dans un pays étranger où tu ne parles peut-être pas la langue, tu n’as aucune aide de ton université ni de l’université d’accueil, et en plus tu n’as pas d’argent. Livré à toi-même, voilà ce que tu es. Et le problème était le même pour tous les Erasmus avec lesquels j’ai discuté. Autre problème propre aux étudiants britanniques : l’argent des bourses était mis sur le compte de notre pays de provenance, avant d’être transféré en Espagne. Sauf qu’au cours du séjour, le taux de change s’est écroulé. En transférant l’argent d’Angleterre en Espagne, j’ai donc perdu quasiment 1/3 de ma bourse. Par la suite, c’est aussi après avoir discuté avec des étudiants que j’ai remarqué qu’il y avait des écarts importants entre nos bourses. J’ai décidé d’envoyer un questionnaire anonyme aux gens et j’ai remarqué que d’un étudiant à l’autre, il y avait parfois 200 à 300 euros d’écart. Ça allait totalement à l’encontre de ce qu’on nous vendait au départ. Tout le système était bancal. Et en plus, les seuils de bourses sont trop bas. Il y a donc des parents qui s’endettent pour que leurs enfants restent en Erasmus. De mon côté, j’ai dû faire un prêt supplémentaire pour mon séjour à Madrid. Erasmus, ce n’est malheureusement pas accessible à tous, contrairement à ce qu’on pourrait croire… Pour moi, c’est le miroir aux alouettes d’une prétendue Europe sociale. Pour tout vous dire, je suis revenue de Madrid dégoutée de l’Europe… 

 

J’ai cru comprendre que les notes ont, elles aussi, posé problème.

C’est exact. Quand je suis rentrée en Angleterre, les notes ont été plafonnées à 75 %. J’avais 8,6/10 de moyenne, en ayant énormément bossé pour obtenir une mention, et toutes mes notes ont été rabaissées. Cette conversion me paraissait absurde. J’ai donc enquêté et découvert qu’il existait une table de conversion officielle qui plafonnait les notes à 75 %. Mais ça, personne ne nous l’a dit avant de partir ! C’est après une longue bataille que j’ai réussi à faire modifier la table de modification. Les notes ont été réajustées à la hausse pour mieux convenir à la réalité. Avec les Erasmus, on a abordé une autre problématique : celui des modules. J’ai trouvé étonnant que personne n’ait le même emploi du temps. En fouillant un peu, j’ai découvert que les modules de sociologie valaient entre 5 et 6,5 crédits ECTS, alors que ceux de médias et journalisme seulement 4,5. Pourquoi un étudiant en journalisme devrait en valider plus, alors que cela représente le même nombre d’heure et la même charge de travail… C’est complétement hallucinant. 

 

Regrettez-vous d’être partie en Erasmus ? 

(Après quelques secondes d’hésitation) Je ne regrette pas. Et c’est vrai que pour les jeunes qui partent pour la première fois à l’étranger, seuls, c’est une opportunité merveilleuse. Dans mon cas, j’avais déjà une expérience à l’étranger, donc c’était sûrement moins magique que les autres. Et malgré tous les problèmes, cela m’a apporté de bonnes choses. D’un pays à l’autre, on ne lit pas les mêmes auteurs. Grâce à mon Erasmus à Madrid, j’ai découvert la philosophie d’Amérique Latine, des auteurs argentins, colombiens, etc… et une toute autre vision des disciplines que j’étudiais. Attention, il ne faut pas croire que mon livre incite les gens à ne pas partir. Au contraire, il invite les gens à voyager, tout en leur conseillant de faire attention avant de se jeter tête baissée dans les idéaux d’Erasmus. 

 

Son livre : Erasmus Bonus Manus, paru le 10 octobre 2017, disponible sur Amazon 

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Publié le 25 février 2018, mis à jour le 14 novembre 2018