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PHILIPPE GUSTIN - "L'Allemagne se demande si la France est encore dans le bateau européen"

Écrit par Lepetitjournal Cologne
Publié le 14 avril 2016, mis à jour le 14 avril 2016

Passé par l'Allemagne, la Hongrie, l'Autriche ou encore la Roumanie en tant qu'ambassadeur de France, le Français Philippe Gustin a vécu plus de vingt ans à l'étranger et se sent profondément européen. Il est désormais directeur de cabinet du président et directeur général des services du département de l'Eure. Ce mercredi, il était de passage à Cologne pour parler de la crise européenne et de son livre « #France Allemagne, relancer le moteur de l'Europe », co-écrit avec Stephan Martens et préfacé par Bruno Le Maire. 

 

Lepetitjournal.com/cologne : Que vous ont apporté toutes les années passées à l'étranger ?

Philippe Gustin : J'ai vécu pendant près de vingt ans à l'étranger. Cela m'a apporté du recul par rapport à ma propre vie professionnelle et personnelle mais aussi du recul par rapport à la France. Nous en avons besoin. Pas d'être dans une béatitude, nous [ndlr : Stephan Martens, co-auteur du livre] ne sommes pas dans une logique où l'on idéalise l'Allemagne par rapport à la France. Je n'ai jamais été de cette catégorie là de dire "regardez l'Allemagne, l'Allemagne, l'Allemagne".
Il faut voir que des choses peuvent se passer autrement ailleurs, sans pour autant penser que tout est transférable. Chaque pays a son histoire, ses traditions, ses relations sociales, sa structure administrative. Ce que nous mettons en avant dans le livre est la capacité de l'Allemagne à réformer. 

Que pensez-vous de l'Europe actuelle ?  

Elle va mal, très mal. Je pense qu'elle est à la croisée des chemins pour plusieurs raisons. D'abord parce que nous avions un continent européen qui avait connu trois guerres en moins de 100 ans, qui avait été mis à feu et à sang. On ne pouvait aller que mieux sur un point essentiel qui s'appelle la paix. On ne pouvait aller que mieux aussi en terme de partage de valeurs communes. Tout cela fait qu'on a eu une certaine naïveté de penser qu'elle étaient partagées par tous or elle ne le sont pas. 
Deuxièmement, nous avons construit une Union européenne où nous n'avons jamais décidé entre fédéralisme et co-association de nations parce que les systèmes étaient différents. Du coup, nous avons construit une Union européenne sans compétences régaliennes en terme de police, de justice, de défense et de diplomatie. Tout cela fonctionnait plutôt bien quand tout allait bien.  

Il y a actuellement une certaine remise en cause du modèle européen, pourquoi ? 

Le problème aujourd'hui est qu'il y a plein de choses qui vont mal. Au sein de l'Union européenne dans les politiques internes avec l'émergence des extrêmes anti-européens dans la plupart des pays. Cela remet en cause le modèle européen. 
Ce qui remet le modèle européen aussi en cause est l'extérieur. Nous avons des menaces terroristes mais aussi des problèmes migratoires. La politique d'immigration est sûrement la plus compliquée à mettre en oeuvre entre européens. L'enjeu est de trouver les voies et moyens d'un politique commune, de solidarité qui doit agir aussi dans les pays d'origine de ces migrants. 

Qu'en est-il du Brexit dont nous parlons beaucoup ces derniers temps ?

C'est le dernier élément où l'Europe va mal : le Brexit se profile devant nous. Pour la première fois un pays, et non des moindres, veut sortir de l'Europe. Je crains malheureusement que le peuple réponde "oui" à ce référendum qui a lieu le 23 juin prochain. J'ai peur que le 24, nous nous réveillons tous avec la gueule de bois. Nous allons avoir un pays qui sort de l'Union avec plusieurs problèmes. D'abord un problème purement technique et institutionnel : les traités ne le prévoient pas. Ensuite un problème au Royaume-Uni puisque l'Écosse ne voudra pas. Troisièmement, nous ouvrons la boite de Pandore parce que d'autres pays vont s'engouffrer là-dedans comme la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie et la Hongrie qui ont déjà prévenu. 

L'Europe est-elle trop grande ? 

Je pense que l'élargissement a été trop rapide. Il aurait fallu mieux accompagner les pays. Alors qu'on a estimé que le jour où ils arrivaient que tout était bon. Deuxièmement, on a beau encore partager des valeurs communes, il y a des valeurs qui ne sont plus communes. Le fondement même de cette Europe conçue sur des aspects économiques ne peut plus perdurer. Je suis foncièrement européen et sur une logique plus intégrative parce que je pense que nous n'avons pas le choix. 

Quelles sont les possibilités pour l'Europe aujourd'hui ?

L'Europe va mal et la question est de savoir si on continue à être dans une logique où l'on subit les événements. On voit bien qu'on a là une successions de crises qui s'accélèrent : la crise de l'euro, la crise des migrants, le Brexit aujourd'hui. On sait que cela va arriver et nous sommes là, à jouer ensuite les pompiers. Avec Stephan [nldr : le co-auteur] on estime que l'on doit être dans une logique d'anticipation. Aujourd'hui, on va mal et la réponse que l'on offre est un repli identitaire et nationaliste avec tous les risques que cela comprend.  

Pour finir, qu'en est-il de la relation franco-allemande ? 

Pour nous, la relation franco-allemande n'est pas quelque chose à idéaliser. La notion de couple est une notion uniquement française, pas une notion allemande. En allemand, on parle de Partnerschaft, de Tandem. En France, nous mettons beaucoup d'émotion là-dedans. Cela veut bien dire ce que cela veut dire : l'un pédale et l'autre traine derrière. Pour autant, aujourd'hui nous sommes dans la méfiance entre l'Allemagne et la France. L'Allemagne ne peut plus accepter que la France ne respecte pas ses engagements, ne fasse pas les réformes qu'elle a du faire et qui lui ont coûté, y compris politiquement. Cela a couté sa réélection à Schroeder. 
L'Allemagne se demande si la France est encore dans le bateau européen. 

Propos recueillis par Benjamin Hardy et Emilie Kauff (www.lepetitjournal.com/cologne) Vendredi 15 avril 2016

 

 

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Publié le 14 avril 2016, mis à jour le 14 avril 2016

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