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DAN RUCĂREANU - ''Donner une voix à ceux qui ont connu les orphelinats de Ceaușescu''

Écrit par Lepetitjournal Bucarest
Publié le 17 mai 2015, mis à jour le 18 mai 2015

Un groupe d'anciens pensionnaires des orphelinats de Ceau?escu vient de créer une association. Federei, c'est son nom, a l'ambition de rassembler les orphelins devenus aujourd'hui adultes pour créer une voix unie et forte avec laquelle demander des comptes aux autorités. Dan Ruc?reanu, son président, nous éclaire.

Photo : Ran Ruc?r

Lepetitjournal.com - Tout d'abord, d'où vient ce nom de Federei, avec lequel vous avez baptisé cette association ?

Dan Ruc?r - C'est le titre d'un recueil de poèmes écrit par Nicolae Avram, l'un des membres de notre association. Il a grandi dans un orphelinat du département de Bistri?a, qui accueillait plusieurs centaines d'enfants. Les habitants de la ville voisine lui avait donné le nom péjoratif de ''federeul''. Les orphelins de l'établissement étaient les ''federei''. Dans la région, ce mot désigne un lieu à la marge, où les gens jettent leurs ordures. Une sorte de déchetterie.

Quels sont les objectifs de votre association ?

D'abord, de créer un réseau pour ceux qui ont grandi dans ces centres de protection de l'enfance, qu'ils se soient nommés orphelinats, centres de placement ou maisons d'enfants. L'idée est de sortir de l'anonymat dans lequel notre passé nous a confinés en créant une voix unie et puissante pour ne plus se sentir seuls. Une voix qui puisse également demander des choses précises.

Quoi par exemple ?

Nos objectifs sont clairs. Nous voulons la constitution d'une commission présidentielle ou parlementaire d'investigation sur les abus perpétrés dans ces institutions de protection de l'enfance.

Ces abus se sont-ils déroulés durant une période précise ?

Il existe une date clé : 1966. Cette année, à l'initiative de Nicolae Ceau?escu, le décret 770, interdisant les avortements, a été promulgué. Les effets de cette décision ont été terribles et dévastateurs sur le long terme. Des milliers de femmes sont mortes en essayant de faire un curetage improvisé et des dizaines ou peut-être des centaines de milliers d'enfants non désirés dans leur famille ont été abandonnés dans des orphelinats.

Concrètement qu'est-ce que cela a signifié pour ces enfants ?

Tout d'abord, le nombre d'orphelinats a augmenté. Ensuite, comme le régime voulait créer l'homme nouveau, il a mis en pratique ce dessein sur les enfants institutionnalisés. La propriété n'existait plus puisque tout appartenait à tout le monde. Et nous, nous étions dépossédés de notre propre corps et de notre propre destin. Nous ne nous appartenions plus à nous-mêmes. Nous étions les enfants de la société roumaine, du régime. C'est cette dépossession qui a rendu possible la massification et donc les abus.

Quand cela a-t-il cessé ?

Malheureusement, tout ne s'est pas arrêté avec la chute du communisme. Et puis on parle d'abus physiques mais pas seulement. Les abus psychologiques ont également affecté ces enfants. Notre idée est de reproduire ce modèle d'association dans les pays alentours, anciens pays communistes, où nous savons que des choses identiques se sont déroulées.

Cette tragédie ne s'est pas terminée avec la chute du régime communiste, vous disiez ?

Non. Les institutions au temps du communisme étaient très grandes. Certaines avaient des dimensions extrêmes comme l'orphelinat de Târgu Ocna, dans le département de Bac?u. Il accueillait plus d'un millier d'enfants. D'autres en comptaient quelques centaines et d'autres, plus petits, de l'ordre de la centaine. Dans les années 1990, ces institutions n'ont pas étaient fermées. La grande chance des orphelinats de Roumanie a été l'ouverture des frontières, quand les journalistes étrangers ont présenté dans leur pays la situation et ont créé une pression sur les autorités roumaines, la pression du changement. Dans les années 1990, des milliers d'étrangers sont venus en Roumanie avec de l'aide humanitaire, majoritairement pour ces orphelinats. La Roumanie a sollicité l'adhésion à l'UE, et l'une des conditions essentielles imposées par Bruxelles a été la résolution de ce dossier. À cette époque, on a procédé à des investissements massifs, la majeure partie d'entre eux venaient de l'UE, et le système a changé. Les abandons d'enfants dans ces institutions ont été diminués et on a fermé beaucoup de centres mammouths. Mais ce dossier n'est toujours pas totalement résolu. Tous les grands centres n'ont pas été fermés et les conditions n'y sont pas encore parfaites. Les salaires et la formation du personnel encadrant ne sont pas non plus satisfaisants.

Propos recueillis par Jonas Mercier (www.lepetitjournal.com/Bucarest) Lundi 11 mai 2015

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Publié le 17 mai 2015, mis à jour le 18 mai 2015

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