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ENTRETIEN - Dominique Wolton : "La mondialisation de l'information peut être un facteur de guerre"

Écrit par Lepetitjournal Bucarest
Publié le 20 mars 2013, mis à jour le 20 mars 2013

Une information mondialisée en manque de curiosité, une communication de plus en plus défaillante, et une incompréhension grandissante entre les peuples? Dominique Wolton, directeur de l'Institut des sciences de la communication (CNRS), est à Bucarest à l'occasion du lancement de deux de ses livres en roumain. Il sera également décoré Docteur Honoris Causa aujourd'hui à 12 heures à l'Ecole nationale d'études politiques et d'administration de Bucarest (SNSPA), et participera à une conférence à l'Institut français à 17h.

Photo : snspa.ro

Le petitjournal.com/Bucarest : Comment voyez-vous le développement des outils d'information qui permettent aujourd'hui d'avoir accès presque n'importe où à presque n'importe quoi ?
Dominique Wolton : Il y a un paradoxe effrayant dans le triomphe de l'information : il n'y a jamais eu autant de moyens de communication, il n'y a jamais eu non plus dans les pays occidentaux autant d'interactions, de journalistes et d'informations. Pour quel résultat ? Pas d'élargissement de l'information, tout le monde dit la même chose au même moment, la folie des concurrences des chaînes d'informations fait qu'on ne traite plus de rien. Et le champ ouvert par les médias est aussi étroit qu'il y a cinquante ans. La capacité de compréhension du monde, qui pourtant est devenu beaucoup plus complexe, est plus faible. Il y a donc un échec. Et cet échec va être grave de conséquences parce que la mondialisation de l'information ne va pas détruire les stéréotypes, elle va les renforcer.

La Roumanie est souvent, pour ne pas dire tout le temps, associée par les médias français à des sujets liés à la prostitution, la pauvreté, les Roms, la corruption... Existe-t-il une explication à ce traitement médiatique par la presse de l'Hexagone ?
La tragédie de la communication, et sa force, c'est que pour aller vers l'autre, il faut des stéréotypes, mais les stéréotypes empêchent en même temps la communication. Un petit journaliste français, même si son niveau culturel est élevé, va aborder la Roumanie en oubliant le rôle centrale qu'avait ce pays entre le 19e siècle et les années soixante. Du coup, il va prendre la hiérarchie des économies des pays d'Europe centrale et orientale. En numéro un, il y a l'ancienne RDA, en numéro deux la Pologne, en numéro trois l'ex-Tchécoslovaquie. La Roumanie vient bien après... Cette façon d'aborder ce pays traduit l'absence totale de culture. Les bêtises qui ont été dites durant le scandale sur la viande de cheval illustrent parfaitement cet exemple. Il n'y a pas d'élargissement du champ de l'information, pas de doutes supplémentaires. On aborde tout de la même manière. Et c'est grave car ce mépris de l'autre, quand il est médiatisé, accentue l'antinomie et la diversité, et donc la colère et le conflit. Et c'est là le c?ur de ma théorie : la mondialisation de l'information peut être un facteur de guerre.

Comment en est-on arrivé là ?
La première et la plus importante des raisons est que les Européens de l'Ouest ont tous cru que le rideau de fer allait tenir pendant trois siècles. Et quand le rideau est tombé en 1989, au lieu de regarder avec intelligence et respect cette partie du continent, les Européens de l'Ouest n'ont pas du tout été curieux. Du coup, les stéréotypes ont été maintenus. Quand on a fait rentrer tous ces pays dans l'UE, ce qui était la moindre des choses, on a entendu à l'Ouest des mécontentements du genre : "pourquoi va-t-on payer pour eux ?". Autrement dit, un égoïsme effrayant est ressorti. Et les politiques n'ont pas eu le courage de dire : "ça suffit ! Nous avons une dette énorme à l'égard de l'Europe centrale et orientale." Et comme il n'y a plus d'histoire car il n'y a pas de culture, qu'il n'y a que des technocrates, des journalistes qui travaillent trop vite, une élite scientifique qui ne voyage plus... Les choses ne changent pas.

L'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne a toutefois été une chance formidable pour le développement de ce pays, et dans bien des domaines un succès indiscutable...
Tout à fait. Et le jour où l'on a accepté cet élargissement, même s'il y a encore du racisme, de l'incompréhension, des stéréotypes, ce fut un succès de l'Europe. Parce que progressivement, l'intelligence des Roumains va se voir et on va se dire qu'un Roumain, c'est autre chose qu'un cheval, et qu'un Polonais, c'est autre chose qu'un plombier. Propos recueillis par Jonas Mercier (www.lepetitjournal.com/Bucarest) mercredi 20 mars 2013

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Publié le 20 mars 2013, mis à jour le 20 mars 2013

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