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Htoo Htoo : profession de foi

Écrit par Inès de Belsunce
Publié le 21 mai 2017, mis à jour le 1 février 2018

Tu as essayé d'apprendre le birman? Moi aussi. Cela t'a rendu chèvre? Moi aussi. Pour ceux d'entre vous qui essayent toujours, ne bougez pas, j'ai ce qu'il vous faut. Fini les cours déstructurés qui ne vous mènent à rien, fini les professeurs lunaires, Htoo Htoo est votre enseignant rêvé. Htoo Htoo est un linguiste, un professeur, une pile électrique, mais aussi un témoin de l'histoire et un ancien dissident.

Avec lui, pas d'à peu près

À ton premier cours, tu recevras des polycopiés de grammaire, de vocabulaire ainsi que des exercices. Tu pourras enfin vraiment réviser. Au bout de 10 leçons de 2h chacune, tu sauras parler. Tu apprendras comment construire une phrase en birman. Tu pourras même, au niveau intermédiaire, commencer à écrire. Au-delà de sa méthodologie impeccable, il te convaincra qu'il est absurde de ne pas mieux parler la langue du pays où tu vis. Il te dira que tu es le meilleur, que tu peux le faire. Il voudra te garder une demi-heure de plus, c'est systématique, même si tu as un rendez-vous essentiel et que tu es déjà en retard. Mais avec lui, tu vas adorer redevenir élève.

Htoo Htoo fait partie de ces gens pour qui le langage est intuitif. Il parle le thaï, le chinois, et l'anglais, qu'il a appris avec son grand père. Pourtant il n'a jamais voyagé. Il n'a été qu'a Moscou. Moscou ? "Oui, Moscou. C'est un pays très étrange", lâche-t-il, mystérieux. Birman 101 : "Moscou", cela désigne la prison. À l'époque, lui s'appelait Ba Htoo Maung. Deux ans dans les cachots d'Insein, puis 10 ans dans les geôles de Myingyan, à côté de Mandalay. "La prison, c'était l'enfer". Car Htoo Htoo fait partie de ces oubliés du mouvement de 1988, ceux dont l'Histoire n'a pas jugé utile de retenir les noms.

Retour en arrière
Le 5 septembre 1987, la junte militaire décide arbitrairement de supprimer les billets de 25, 35 et 75 Kyats. Les étudiants en ont assez et ils décident de mobiliser les foules pour protester. Jeune étudiant en botanique à l'université de Hlaing, il se joint à ce premier groupe d'agitateurs. Au départ, ils n'étaient que 10. Le lendemain ils seront 200. La police réprime durement. Le mouvement se tasse jusqu'au 16 mars 1988, c'est le troisième mouvement de rébellion. Puis un quatrième le 17 Mars, un cinquième le lendemain. Il faudra huit manifestations pour que le mouvement monte en puissance et aboutisse au réel mouvement populaire du 8 août 1988, celui que l'Histoire retiendra. Ces étudiants du 5 septembre 1987, les premiers leaders, ne sont jamais devenus de hauts dignitaires de la Ligue Nationale pour la Démocratie (NLD). Au lieu des honneurs de la révolution, eux, ils ont connu les cellules de la junte.

Ba Htoo Maung sera vite repéré par la police. Il devra fuir Yangon pour Kutkai, dans l'État Shan. Puis il sera finalement arrêté. Sa nouvelle adresse : cellule 43 à Myingyan. Interdiction de parler plus de 15 minutes par jour. À tel point que lorsqu'il pouvait parler, ses joues lui faisaient mal. Forcément : toute discussion secrète est punie par la force. Ses geôliers, le plus souvent d'anciens criminels eux-mêmes, ne se gênaient pas pour terroriser sans remord les prisonniers politiques. Puis, en grattant sur les murs de sa cellule à l'aide d'un caillou ramassé pendant l'unique promenade quotidienne, il engage un dialogue avec son voisin de cellule. Pour contourner la censure des geôles, Htoo Htoo invente alors un langage, une sorte de morse. Un code basé sur le rythme des chansons enfantines birmanes. Un toc pour la lettre a, deux tocs pour b, et ainsi de suite. Le voisin apprend vite le code, et, de proche en proche, par mur interposé, toutes les cellules se joignent bientôt à ces conférences secrètes, au nez et à la barbe des matons. "Alors que nous, on parlait, eux, les gardiens, ils n'y voyaient que du feu" se souvient-il, les yeux toujours rieurs. Hors du contrôle grâce à ce code secret, les prisonniers libèrent la parole. Le langage est insolent, même si les sujets les plus fréquents touchent à la nourriture, plus que de grands idéaux révolutionnaires.

En 2002, la junte annonce enfin une amnistie pour les prisonniers politiques
Ba Htoo Maung est libéré. C'est le début de sa vie d'enseignant. Un choix un peu dû au hasard, mais aussi au talent et à certaines convictions. Depuis, en 15 ans, il a vu passer plus d'un millier d'étudiants. Même s'il sait que le birman est une langue difficile pour les étrangers, ce qu'il veut d'abord, c'est convaincre que l'apprentissage peut être facile. Ce professeur enseigne à tout le monde, en s'adaptant à chaque fois au niveau et aux besoins de ses élèves.Des étudiants parfois VIP : ambassadeurs, thésards en birman ancien, directeurs d'ONG. Ses premiers élèves étrangers furent français. D'ailleurs, lui, contre toute attente, trouve que les Français sont "plutôt très bons pour apprendre les langues étrangères"? Il se peut qu'il m'ait menti?

Aujourd'hui, Htoo Htoo a mis Ba Htoo Maung au placard. Il n'appartient à aucun parti politique. Pour lui, maintenant, tout ça, c'est du passé : c'est aux nouvelles générations de prendre le relais. "Moi, j'ai joué mon rôle (?) Nous nous sommes révoltés, et bizarrement, la révolution, sur le coup, c'est plutôt facile, on ne voit pas le risque. Par contre, l'évolution, la construction d'une nation, c'est là que se trouve la réelle difficulté". Désormais, l'ancien dissident n'aspire plus qu'à une chose : la paix, le "Metta" comme il l'appelle. La paix et l'équilibre, l'extrême liberté de l'âme : "Toujours apprendre du passé, mais aussi toujours en être libre". De toute évidence, Htoo Htoo, c'est également un professeur de philosophie. Et de vie.
 

picture ines
Publié le 21 mai 2017, mis à jour le 1 février 2018

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