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CRISTOPHE MUNIER-GAILLARD – Le Spécialiste des peintures murales bouddhiques

Cristophe Munier GaillardCristophe Munier Gaillard
Écrit par Justine Hugues
Publié le 18 décembre 2016, mis à jour le 14 janvier 2018

Cristophe Munier-Gaillard a passé près de vingt ans en Asie du Sud-Est, dont douze en Birmanie. Ce Docteur en histoire de l'art de l'Université de la Sorbonne a jeté son dévolu sur la classification des styles dans la peinture murale bouddhique des XVII et XVIII èmes siècles en Haute Birmanie. Un sujet qui parait a priori obscur et difficile d'accès pour les non-initiés? Détrompez-vous,  en compagnie de Cristophe, il ouvre la porte à un univers passionnant, dans lequel les représentations de la vie de Bouddha et du quotidien des Birmans d'un autre siècle invitent à bien des rêveries.

La Birmanie, eldorado de la recherche en art sacré


Cristophe est lecteur de français dans une université thaïlandaise et travaille à la publication d'un ouvrage sur les sites naturels sacrés dans les années 1990, lorsqu'il commence à s'intéresser de plus près à la Birmanie. "Çà me faisait rêver, je voyais des photos de 1920 et je me disais qu'il y avait là un potentiel fabuleux, qu'il fallait investir sur la Birmanie, un peu de façon intuitive". En matière de recherche en art et architecture, le Cambodge et la Thaïlande étaient alors déjà saturés et le Laos trop limité.

Soucieux de ne pas brûler les étapes, Cristophe décide de s'atteler au périlleux apprentissage de la langue birmane, qu'il estime être une précondition essentielle à toute étude de peintures narratives qui se respecte, ces dernières étant en effet légendées en birman.  Direction Paris et l'INALCO où il décrochera la bourse Lavoisier lui permettant d'étudier un an à l'université des Langues étrangères de Rangoun.  Nous sommes alors en 1999 et les étrangers  établis dans la capitale birmane se comptent sur les doigts d'une main. "C'était très strict mais j'en garde des souvenirs incroyables" nous confie-t-il.  Cette année universitaire est l'occasion pour le chercheur de faire connaissance avec l'un des sites qui occuperont dès lors une place centrale dans sa vie : Powin Taung, dans le district de Monywa (région de Sagaing), dont 29 de ses grottes (sur plusieurs centaines) abritent des fresques de styles Nyaungyan, datant des années 1730-1780.  Les moyens limités dont dispose alors l'étudiant ne le découragent pas pour autant. "Il fallait dériver les lignes d'électricité pour pouvoir prendre des photos de nuit". Bien au contraire, cela lui donne envie de s'installer plus durablement dans le pays et de prendre un poste d'interprète au Comité International de la Croix Rouge ; dédiant dès lors son temps libre à l'approfondissement de ses recherches sur ce site. Elles dureront plus de huit ans. 

Un pionnier dans la classification des styles d'une période et région jusqu'alors peu étudiées


"Tu as là deux pommes, une petite et une grande. L'histoire de l'art ce n'est pas de dire que ce sont des objets similaires, c'est de comprendre pourquoi on est passé de l'une à l'autre", schématise Cristophe, qui a certainement remarqué mes sourcils froncés en réponse à son flot de paroles aussi enjoué que continu.  On doit au chercheur français la seule et unique classification des styles des peintures murales bouddhiques de la période de Nyaungyan. Encore une fois, cela paraît abstrait. Mais lorsqu'il le raconte, il sait rendre les choses vivantes. En s'associant avec des érudits birmans, dont notamment Myint Aung, il entreprend un travail minutieux pour dater les fresques avec précisions et vulgariser leur sens auprès du grand public. "Un boulot de fou", comme il le qualifie en souriant.  Pour ce faire, il analyse le moindre détail des fresques et des légendes en birman qui les accompagnent.  Il copie le texte, le traduit, cherche à combler les trous créés par le temps et l'usure. "Il fallait mesurer les centimètres manquant entre les lettres, pour savoir si c'était une lettre, un mot, une phrase ou plusieurs qui manquaient". 


Mon interlocuteur pointe du doigt quelques photos de l'un de ses ouvrages. "Tu vois là, il y a une scène où Bouddha entre dans la chambre de sa femme et son fils endormis avant de les quitter. Dans les versions anciennes, il y avait une porte. Et puis ensuite, il y a un rideau, les récits deviennent alors beaucoup plus fluides, cela circule". C'est cela l'évolution des styles. Les dater relève d'un véritable travail de détective. Celui-ci consiste à se baser sur ses connaissances pour ensuite parvenir à rattacher les peintures datées aux peintures qui ne le sont pas encore, et par là même constituer des groupes et identifier la chronologie entre ces derniers.

Et surtout, selon Cristophe "il ne faut pas croire ce qui a été fait, il faut être prêt à remettre en question les dates acceptées quand on voit que quelque chose cloche". A l'instar du passage de la porte au rideau, il me montre d'autres exemples, celui du fond des fresques "archaïque" par exemple, caractérisé par des fleurs sur un fond de couleur rouge ; lequel évoluera ensuite vers un fond orné de personnages. L'observation des tatouages est un autre indice qui peut être utilisé, si toutefois l'on sait, comme notre chercheur, que jusqu'à la fin du dix-huitième siècle, ils sont noirs et pleins alors qu'au début du dix-neuvième, on voit apparaître et se développer des motifs. "Des rosaces, des lions, c'est très précis".  Fruit d'un travail minutieux de longue haleine, le chercheur français a réussi à passer d'une période Nyaungyan jusqu'à lors présentée comme relativement homogène à six styles intrinsèquement liés les uns aux autres. 

 

La parfaite incarnation du métier-passion


"Quand on trouve la date d'une peinture, on trouve avec elle sa nature et son essence". "Tout s'éclaire ensuite et c'est ça qui est génial" ; c'est ainsi que le chercheur dépeint l'excitation que crée la découverte d'un indice jusqu'alors caché. Il sourit, part chercher un nouvel ouvrage, se rassoit, puis se relève quasi immédiatement, tout en continuant son récit d'anecdotes sur des personnages mystérieux des fresques ou encore sur l'arrivée des robes à longues traînes dans les tenues des Birmanes, lequel marque le passage vers le style Konbaung. Cristophe est un passionné intarissable sur son objet d'études et regarde avec fierté le chemin parcouru. "Maintenant c'est super, c'est la Rolls Royce, je prends n'importe quelle scène et je peux la dater et voir l'évolution".

En ce moment, il peaufine les derniers détails de l'alléchante maquette d'un ouvrage qu'il a réalisé en collaboration avec l'historien russe Alexey Kirichenko et Minbu Aung Kyaing, ancien Directeur Général Adjoint du Département d'Archéologie birman. Un mélange de photos de fresques,  d'informations historiques et un essai sur l'histoire de l'art, à travers lesquels le lecteur pourra suivre la vie de Bouddha. En attendant son apparition dans les librairies de Yangon au printemps prochain (que lepetitjournal.com Birmanie ne manquera pas de vous rappeler), peut être aurez-vous l'envie ou l'occasion de vous rendre sur le site de Powin Taung.  Ou pour commencer, de consulter le précèdent ouvrage de Cristophe, à deux pas de l'Ambassade de France? 

Burmese Buddhist Murals', de Christophe Munier et Myint Aung, est disponible au Myanmar Book Centre, no. 55, Baho Road (carrefour de Baho et Ahlone Roads), Ahlone Township, Yangon
Justine Hugues - Lundi 19 Décembre 2016

 

 

 

Justine Hugues
Publié le 18 décembre 2016, mis à jour le 14 janvier 2018

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