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Frédéric Petit - « Le franco-allemand de l’intérieur »

Frédéric Petit APFA LFA Hambourg franco-allemandFrédéric Petit APFA LFA Hambourg franco-allemand
Frédéric Petit
Écrit par Juliana Bitton
Publié le 5 octobre 2020, mis à jour le 5 octobre 2020

Frédéric Petit, député des Français établis à l’étranger (Allemagne, Europe centrale, Balkans), a rejoint récemment le bureau de l’Assemblée Parlementaire franco-allemande. Lors d’une interview, il revient sur son travail et ses projets.

 

Lepetitjournal.com/berlin : vous avez fait votre entrée au sein du bureau de l’Assemblée Parlementaire franco-allemande (APFA) il y a peu de temps. Comment envisagez-vous votre rôle à l’APFA ?

Frédéric Petit : le bureau de l’APFA est l’organe exécutif de notre assemblée. C’est lui qui décide de l’ordre du jour des sessions en particulier. C’est un organe très important pour agir. C’est pourquoi, je suis très heureux de succéder à Sylvain Waserman dans cette enceinte car je suis un farouche partisan de l’amitié et de la coopération franco-allemande et je veux fortifier cette relation entre nos deux pays.

Dans cette assemblée, je représente le franco-allemand « de l’intérieur » en quelque sorte, le franco-allemand profond, puisque je suis le député des Français qui habitent en Allemagne et qui sont bien souvent franco-allemands, soit de naissance, soit d’histoire et parfois sur plusieurs générations. Si les questions transfrontalières sont l’aiguillon qui permet à la relation franco-allemande d’avancer, elles ne doivent pas occulter d’autres réalités tout aussi importantes pour l’intégration accrue de nos sociétés. Ainsi, la relation franco-allemande se joue tout aussi bien dans la création d’un lycée franco-allemand à Hambourg que dans l’apprentissage de l’allemand, de l’Allemagne, par le soutien des jumelages, des coopérations économiques, etc. A titre d’exemple, je travaille actuellement au renouveau d’un club franco-allemand des affaires à Leipzig ou à Dresde.

Au sein de l’APFA, j’apporte donc un regard sur l’Allemagne un peu différent de celui de mes collègues en France. Je dis souvent que mes électeurs sont en grande majorité des électeurs qui ne sont ni français ni allemands, mais franco-allemands. Avec mon entrée au bureau de l’APFA, je veux contribuer de manière très concrète à accroître la visibilité de l’APFA, partout en France et en Allemagne. En zone transfrontalière, notre assemblée commence à être connue mais il est important que la communication, la diffusion de nos travaux soit beaucoup plus intense et beaucoup plus large que ce qu’elle est aujourd’hui. En particulier si l’on veut que cette assemblée s’inscrive dans le paysage du franco-allemand de façon durable. Ce sera l’une de mes premières actions au bureau.

 

Le projet d’un train reliant Paris à Berlin a d’ailleurs été encouragé par l’APFA. En quoi est-ce important pour vous et quel sera le rôle de l’APFA quand le projet sera en chantier ?

L’APFA a pris une résolution afin d’encourager les deux exécutifs français et allemand à rétablir cette liaison ferroviaire et les inciter à investir dans ce projet, en particulier du côté allemand. Cela permettrait de relier Berlin à Paris en cinq heures. Ce train placerait éventuellement Varsovie à huit heures de Paris. Relancer le ferroviaire en Europe permettrait par ailleurs d’aller vers une communauté un peu plus verte, loin du tout avion.

Dans mon intervention, lors de la dernière session de l’APFA des 21 et 22 septembre, j’ai insisté sur le fait qu’il ne fallait pas que ce projet et que tous les projets qui en découleront -il y a notamment un grand projet européen sur les liaisons ferroviaires entre toutes les capitales européennes qui est étudié à l’heure actuelle-, se limitent à de l’investissement, mais qu’ils prévoient également l’ensemble des services nécessaires au déploiement du réseau. Il faudra bien évidemment poser des rails correctement, acheter de nouveaux wagons, etc., mais nous n’arriverons pas à réinstaller une habitude du train qui corresponde à nos ambitions écologiques si, à côté des investissements on ne développe pas aussi des services. Puis-je mettre mon vélo dans le train ou pas ? Quand j’achète mon billet, suis-je automatiquement assuré qu’une voiture ou un vélo m’attende à mon arrivée ? Est-ce que je peux acheter un billet sur internet qui sera valable des deux côtés de la frontière ? Or, ces problèmes qui sont encore à régler, ne relèvent pas de la responsabilité des gouvernements ou des grands investissements mais des opérateurs et des sociétés de services.

 

Que répondez-vous aux critiques de ceux qui affirment que ce projet n’est pas intéressant car la durée du voyage sera trop longue et les arrêts trop nombreux ?

Je suis quelqu’un de concret et de pratique. Pourquoi est-on capable de réaliser un Marseille-Bruxelles en cinq heures et ne serait-on pas capable de faire un Paris-Berlin ? Effectivement, si on s’arrête tous les 10 km, ça ne sert à rien. Aujourd’hui on va à Francfort alors que les investissements ne sont pas faits de l’autre côté de la frontière, on va à Bonn par le Thalys alors que la moitié de la voie n’est pas encore rénovée. Il faut rappeler que le train de nuit Berlin-Paris fonctionnait jusqu’à ces deux dernières années. Il faut juste trouver le bon équilibre ! Enfant, je n’aurais jamais imaginé qu’en partant de Marseille le matin, je pouvais être à Bruxelles à 11 h et pourtant c’est le cas !

De ce point de vue, l’Autriche est très en avance sur le reste de l’Europe. La compagnie des chemins de fer autrichienne a remis en fonctionnement les trains de nuit. La compagnie suisse les reprend également. Ils ont bien compris que c’était le sens de l’histoire. Personnellement, je préfère voyager de Cracovie à Paris en train, faire une nuit et huit heures de trajet plutôt que de me lever à 4 h du matin, faire trois fois la queue debout et arriver à la même heure à destination. Dans le train, je dispose de la wifi, je suis bien installé, il y a des prises à ma disposition, je peux discuter avec mes collègues, téléphoner, alors que dans l’avion on ne travaille pas en général.

 

Je dis parfois que les lycées franco-allemands sont des « Rolls-Royce pédagogiques


Le projet du lycée et du bac franco-allemand de Hambourg s’est concrétisé ces derniers jours. Pourquoi est-ce important selon vous de développer ce type d’établissement ? Quel a été votre rôle dans ce projet ?

D’abord ce projet a un intérêt pédagogique absolument fantastique. Je dis souvent que les lycées franco-allemands sont des « Rolls-Royce pédagogiques ». Il faut visiter le LFA de Fribourg qui est situé dans ma circonscription : chaque année, il y a une nouveauté ! Le choc des deux cultures entre les élèves mais aussi les enseignants, tout cela fait que ça phosphore en permanence, ils ont toujours une longueur d’avance. Ce sont par exemple, les élèves qui commercialisent l’électricité produite par les éoliennes et les panneaux solaires qu’ils ont installés sur le toit de l’établissement, avec leur propre plan.

Le deuxième intérêt, c’est qu’un Lycée franco-allemand est à la fois un lycée public français mais également un lycée public allemand donc, l’enseignement y est gratuit. Les Français de Hambourg qui paient aujourd’hui environ 5000 € pour un enseignement français, iront dorénavant dans un lycée public où la scolarité est complètement gratuite. C’est tout de même appréciable.

Aujourd’hui, il y a déjà 15 lycées français en Allemagne, quelques expériences de lycées allemands en France et je trouve ça extraordinaire. Mais le lycée franco-allemand, représente symboliquement une plus grande imbrication de nos sociétés et de nos cultures. Et Dieu sait si l’aventure du lycée franco-allemand était mal partie ! Au démarrage, il y avait énormément de réticences, non justifiées à mon avis. Avec des élus locaux, de très bons fonctionnaires français, de très bons proviseurs, on a fait en sorte d’expliquer le projet et de rassurer les familles. On a surtout réglé un certain nombre de problèmes qui pouvaient faire peur aux gens.

Je me félicite que ce projet voit le jour, la première pierre a été posée le 21 septembre dernier. La construction du nouveau bâtiment est d’ailleurs financée par le Land de Hambourg, ça ne coute donc rien à la France. Désormais, il faut s’atteler à la création d’un deuxième lycée franco-allemand en France, si possible loin de la frontière. Toulouse serait un emplacement fort symboliquement car il y a déjà Airbus. Mais bien entendu, ces projets que je qualifie de « pilotes » demandent du temps et de l’imagination quotidienne. Vivre ensemble avec nos différences, c’est exigent mais passionnant aussi. Ça tire le franco-allemand vers le haut.

 

Avez-vous de futurs projets franco-allemands importants ou qui vous tiennent à cœur ?

Je suis assez satisfait du travail réalisé avec l’APFA depuis sa création. L’une des grandes forces de notre assemblée, c’est le contrôle commun que nous exerçons sur nos gouvernements respectifs et la capacité que nous avons à faire progresser la collaboration franco-allemande. Nous disposons par exemple d’un outil, que l’on a beaucoup utilisé depuis la crise du Covid-19, c’est l’audition simultanée de deux ministres. Ces auditions étaient au départ de simples « rencontres » entre un ministre allemand accompagné par des députés allemands et un ministre français accompagné par des députés français ; elles se sont rapidement et durablement transformées en véritable travail de contrôle parlementaire, où des élus (des deux peuples) contrôlent un exécutif duel. Le fait que l’on dispose dorénavant de ce nouveau schéma de travail est extrêmement puissant. Ça n’existait pas auparavant. Nous avons ainsi pu auditionner les deux ministres de l’Intérieur sur la question des frontières en juin, et c’est d’ailleurs pendant l’audition qu’ils ont décidé d’utiliser le même document de circulation. Cette fonction de contrôle fait expressément partie du rôle que l’on avait assigné à cette assemblée lors de sa création.

A partir de cette expérience parlementaire franco-allemande, je souhaite favoriser un travail interparlementaire plus approfondi, régulier et structurant que celui que fournissent les groupes d’amitiés tels qu’ils fonctionnent aujourd’hui, par exemple avec la Pologne. Je crois beaucoup au triangle de Weimar pour la refondation de l’Europe malgré toutes les différences et les frictions qu’il peut y avoir avec nos amis polonais. D’une part, j’habite à Cracovie donc je vois bien comment on pourrait lever un certain nombre de malentendus actuels. Ensuite, j’estime que c’est mon rôle de parlementaire que d’élargir la coopération entamée dans le cadre franco-allemand à nos amis polonais et du V4 (groupe de Visegrád comprenant la Hongrie, la Pologne, la Tchéquie et la Slovaquie).

 

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