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Brieuc Le Meur - Entre cinéma, photo, musique et danse à Berlin

Brieuc Le MeurBrieuc Le Meur
© Juliana Bitton pour Lepetitjournal.com Allemagne
Écrit par Juliana Bitton
Publié le 15 octobre 2020, mis à jour le 16 octobre 2020

Installé à Berlin depuis 12 ans, Brieuc Le Meur est un artiste français aux multiples facettes. Musicien, photographe, écrivain et réalisateur talentueux, il raconte dans une interview son parcours et ses projets.

Originaire de Blois et étudiant en philosophie à la Sorbonne, Brieuc a posé ses valises dans la capitale allemande après un an passé à Tokyo. Il nous explique avoir toujours eu envie de faire du cinéma mais qu’il était complexe de travailler dans ce milieu en France, sans diplôme d’une grande école de cinéma ou faute de contacts. Ne possédant ni l’un ni l’autre, il s’est d’abord dirigé vers une de ses passions : la musique. Au début des années 90, la scène rave prend de l’ampleur. Les musiques techno, électro, hard techno, trance sont mises à l’honneur. Brieuc est alors musicien, danseur et organise des « rave parties ». Il continue à écrire des scénarios mais la musique prend une place plus importante au sein de sa vie. Il écrit également de la poésie, des romans et produit de la musique, le tout formant une esthétique personnelle très proche de la scène techno dans laquelle il évolue.

Aujourd’hui Brieuc partage son temps entre les productions musicales, les projets d’écritures et la poésie – il a d’ailleurs publié trois ouvrages en 2015 – la photographie et plus récemment le cinéma. Son nouveau film « For the Daemon » est sorti en Allemagne sur la plateforme Sooner.de et mêle tous les arts que Brieuc maitrise : l’écriture, la photo, la musique et la danse.

 

Vous êtes un réalisateur, photographe, faites de la musique, vous avez présenté des expositions et écrit plusieurs ouvrages. Parvenez-vous à trouver un équilibre parmi tous les arts que vous pratiquez ?

Je dirais que cela dépend des projets sur lesquels je travaille. Il y a des projets qui nécessitent d'être terminés à temps comme un roman, il me faut donc parfois arrêter tout le reste. Pour le film « For the Daemon » qui vient de sortir, j'ai dû me consacrer presque entièrement à ce projet pour pouvoir le boucler. J’avais une idée en tête de court métrage avec des amis. Un jour, j'ai décidé de le tourner avec des danseuses et des acteurs, ce qui a beaucoup orienté le film. Au fur et à mesure, les images étaient tellement convaincantes que j'ai créé une autre scène, puis une autre et encore une autre. C'était comme ça pendant trois ans, le film s'est fait de façon complètement empirique. Peu à peu, j'ai fini par trouver le bon équilibre. Finalement, j’ai appris à réaliser un film en faisant « For the Daemon » ! C'était vraiment agréable de pouvoir improviser et de ne pas avoir de production au-dessus de moi pour exiger que je respecte un scénario et des délais. C'est un projet qui n'était pas commercial du tout et qui a rassemblé tous les médias que je maîtrisais déjà. C'était assez logique en fin de compte. Mais pour ce film, je n’ai pas complètement délaissé la musique, j’ai réactualisé des morceaux que j'avais déjà pour la bande son mais sans chercher à jouer, faire des concerts et à produire de la techno ou de l'électro. J’étais vraiment en mode sous-marin. (Rires)

J'essaye de faire émerger des choses qui m'obsèdent.

C'est vrai que ça peut poser problème, je fais parfois toujours tout en même temps. C'est aussi un rythme mais on finit par s'habituer à ce genre de procédé ! Ça peut poser des problèmes d'un point de vue professionnel parce que les gens pensent parfois que tu travailles en dilettante. Ils peuvent penser que tu es juste un touche-à-tout alors que c'est extrêmement sérieux. Mais quel que soit le médium utilisé, les propos sont souvent les mêmes, c'est assez autobiographique et reflète des critiques sociales. J’essaie de faire émerger des choses qui m'obsèdent. Mais au final, écrire de la musique ce n'est pas comme écrire un roman et faire des photos ce n'est pas comme la danse. Les qualités et les progrès qu'on fait dans un médium servent aux autres médias, surtout au niveau de la discipline et de la technique. Et puis, j'ai toujours mélangé ça comme ça. Finalement, après 25 ans de pratique, tout est devenu plus régulier. Et le cinéma permet de rassembler tout ça, tous ces arts. Donc là, on ne se pose plus la question. Ça n'agace plus les gens. (Rires)

 

For the Daemon
Cord song - For the Daemon © Brieuc Le Meur

 

Vous êtes né en France et avez fait vos études à Paris. Comment vous êtes-vous retrouvé à Berlin ? Cette ville vous inspire-t-elle ?

Je suis resté après mes études pendant 13 ans à Paris tout en étant un peu à Nantes, aussi en Bretagne. J'ai beaucoup joué là-bas. Mais à un moment donné, être musicien à Paris est devenu compliqué. J'avais envie de partir et je me suis installé à Tokyo en 2007. De Tokyo, j'avais une date de concert à Berlin. Je parlais déjà allemand, j'avais déjà fait pas mal de voyages en Allemagne mais je ne connaissais pas Berlin. Je me suis dit qu'il y avait encore beaucoup l’influence de la techno là-bas, il y avait une vraie émulsion artistique autour de cette musique qui m'intéressait toujours. Pour moi, c'était soit la Californie, soit Berlin et je n'avais pas de visa... (Rires)

Je suis arrivé à Berlin début 2008 et je me suis remis à jouer. Je me suis aussi mis à écrire, à raconter ma vie. J'ai écrit un livre « Panic in Berghain » qui est sorti en 2015. Et puis j'ai beaucoup joué. J'ai signé un label d'une Russe Dasha Rush qui s'appelle « Fullpanda ». On faisait également pas mal de soirées un peu partout, des choses comme ça. Puis, à un moment donné c'est devenu un peu « too much », je n'avais plus envie de jouer et je trouvais la scène ennuyeuse. J'avais déjà vu des scènes naître, mourir, renaître. J'ai pris de la distance et je me suis consacré à la littérature et ensuite à mon film.

Avec Berlin, j'ai une relation d'amour et de répulsion.

J'habite ici depuis 12 ans maintenant. Avec Berlin, j’ai une relation d'amour et de répulsion. Selon moi, d’une part c'est une ville très agréable pour y travailler mais intellectuellement, c'est parfois très pauvre. Puisque tout le monde y parle un petit peu anglais, cela tue un peu la communication et le développement intellectuel, Berlin est une ville très internationale. D'un côté, c'est génial qu'il y ait autant de gens venant de partout dans le monde, tous les déçus de leur propre pays, les hipsters, les rêveurs viennent à Berlin… mais qu'est-ce qu'on y construit ? Par contre, pour la musique, il y a une éruption artistique assez sensationnelle, encore aujourd'hui et c’est vraiment génial.

 

for the daemon
For the Daemon © Brieuc Le Meur

 

Vous avez fait des études de philosophie et votre film « For the Daemon » traite de sujets philosophiques comme la révolution, la liberté, l’émancipation, la spiritualité ou encore dieu. Ces sujets semblent vous tenir à cœur. Avez-vous un message à transmettre à travers votre film ?

Le film a un message écologique, ça c'est sûr. Le contexte berlinois et les gens avec qui j'ai travaillé ont donné un aspect au film très féministe, mais le film n'est pas que ça. Il parle également de la masculinité et la culpabilité du protagoniste qui n'a pas fait grand-chose de mal, mais qui doit réfléchir à sa position d'homme et en quoi ça a pu jouer dans la destruction du monde. Philosophiquement, mon film est une réflexion sur l'homme blanc, sur le mal occidental et la vanité.

Il y a aussi une réflexion sur le langage qui a transformé les hommes depuis des millions d'années. Les personnages répètent souvent que les mots ont détruit monde. Nommer les choses, c'est vouloir que ces choses nous appartiennent et c’est ensuite affirmer qu’on peut les détruire, l'homme se croyant omniscient et surpuissant sur la planète. Cela fonctionne pour l'arbre, les gens, les lieux, les animaux. La planète elle-même se défend dans ce film car la nature est représentée par cette personne masquée et par les femmes.

 

for the daemon
Carmen Kodak - For the Daemon © Brieuc Le Meur

 

Dans le film, il est également question de domination féminine, comme si les rôles avaient été inversés et que le monde devenait matriarcal. Pourrait-on parler d’utopie pour qualifier votre film ? Ce dernier représente-t-il un monde idéal malgré les aspects à première vue effrayants de certaines scènes ?

Pour moi, c'est ni une utopie, ni une dystopie : c'est une uchronie, un événement qui ne peut pas exister et qui n'existera pas. C'est une caricature, une exagération presque comique, une comédie catastrophique. Une critique a appelé le film une « dystopie machiste » et c’est presque cela ! (Rires) Les entreprises et les hommes finissent par comprendre qu’il est possible de rester un homme sans émettre de violence. Je pense que c'est ça l'aspect d'utopie féministe. Après il y a d'autres sortes d'utopies féministes : des utopies amazones, lesbiennes, homosexuelles, queer où les identités disparaissent complètement. J'adore cela, c'est d'ailleurs le genre de réalité berlinoise, je pense que l’avant-garde social berlinois peut vraiment entraîner le reste de l'Europe.

On a le droit d'être multiple, de changer d'identité.

Le film serait aussi une réflexion sur le genre, à cause du nom. On continue de nommer, de s'approprier des concepts pour mettre les gens dans des catégories (homme, femme). Le film refuse cela. On doit arrêter de mettre les gens, les animaux et les lieux dans des catégories et si on commence par-là, on peut devenir moins violent envers la société, la planète et les femmes évidemment. On a le droit d'être multiple, de changer d'identité. Ce qu'il faut, c'est considérer l’espèce, en tant que telle. Il faut apprendre à vivre autrement, peut-être comme vivaient les gens autrefois, sans nécessairement avoir besoin de tout catégoriser pour exprimer quelque chose.

 

Pour conclure, quels sont vos futurs projets ?

Je ferais bien un film dans une autre ville, peut-être en France. Mais comment je vais le faire, c'est la grande question. Avec le coronavirus, j'ai eu beaucoup de temps pour revenir sur des projets qui étaient dans mon disque dur depuis trop longtemps, notamment un album avec une poète de Montpellier. Il s’agit d’un album de poésie sonore, de monologue et de philosophie qui sortira en novembre. J'ai réalisé pas mal de musiques en électronique, notamment la bande son du film. Je travaille aussi sur une traduction de mon roman « Panic in Berghain » en anglais et je voudrais faire un second film. Pour cela, j'ai deux idées en tête : l'adaptation de ce roman et puis peut être quelque chose dans la science-fiction, un voyage dans le temps. A côté de ça, je fais beaucoup de photos. La photo, pour moi, c'est très simple, ça ne demande aucun effort particulier et il y a beaucoup de résultats, donc autant continuer ! (Rires) Et puis je voudrais voir les choses le plus positivement possible, ne plus me faire enfermer dans de vieilles rengaines !

 

Pour découvrir le film « For the Daemon », rendez-vous sur la plateforme Sooner

 

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